Tamil nadu hors sentiers
Suite de notre périple avec Dheeraj, Jinesh et votre narrateur (!), Christian. Nous prenons ce matin la route de Tiruchirapalli (Trichy) vers Thiruvannamalai. J’ai déjà visité la ville et son grand temple dont l’architecture est proche de celui de Madurai. Mais j’y étais venu depuis Pondichéry et je n’ai pas idée de ce que la région entre Thiruvannamalai et Trichy peut nous réserver.
Après 1 heure passée sur l’autoroute de Chennai, nous empruntons une route de campagne tranquille. L’ambiance change instantanément comme si on basculait dans un autre monde. Les voitures déjà moins nombreuses au Tamil Nadu qu’au Kerala disparaissent quasiment au profit des motos et des chars à bœuf qui demeurent un moyen usuel de transport dans le Tamil Nadu rural pour acheminer les légumes, le fumier, la paille de riz, mais aussi le sable de construction.
Le rythme de la vie ralentit, les campagnes sont propres et sans plastique, les champs sont bien entretenus avec des cultures variées comme le maïs, la canne à sucre, les haricots, les cacahuètes, les trucs noirs, les ladies fingers (appelé OKRA par les anglais et GOMBO en français), du riz bien sûr. Les terres arables, fines, riches, de couleur sombres et la possibilité d’irriguer les champs permettent à cette région de produire quasiment toute l’année des légumes et des céréales. Les champs de taille modestes sont fréquemment bordés de cocotiers et créent un joli paysage de campagne.
En bordure de cette route, nous longeons de petites huttes aux toits en palmes de cocotiers, avec devant chaque maisonnette au moins une vache. Chaque famille constitue sa réserve de paille de riz pour servir de fourrage. La paille est soigneusement empilée et forme de grands champignons qui jalonnent la route. Tout l’espace arable est gardé précieusement pour les cultures et l’espace à vivre est limité à son minimum. Nous avons définitivement basculé dans le Tamil Nadu rural bien loin de la modernité des grandes villes.
Là où les terres sont plus pauvres et l’irrigation absente, la nature aride reprend ses droits et l’on discerne clairement des zones naturelles de rétention pour recevoir les fortes pluies de mousson. Nous nous arrêtons au niveau de l’une d’elles. Nous sommes en période sèche au Tamil Nadu et le grand bassin d’environ 10 hectares est quasiment à sec. De l’herbe rase a colonisé tout le bassin peu profond. Quelques rochers usés par les années gardent la trace des moussons passée et laissent imaginer une profondeur d’eau d’environ 2 mètres en saison des pluies. Nous faisons une balade dans cette prairie et montons sur le rocher central pour en avoir une meilleure vue. L’endroit est agréable avec comme souvent un petit temple perché sur le plus gros rocher des alentours.
Nous arrivons ensuite au lieu que j’avais repéré sur internet, sans trop savoir s’il serait d’un intérêt quelconque. Au milieu de nulle part, dans une sorte de petit bois, nous atteignons l’endroit signalé d’un portique. Il faut s’engager sur un chemin de terre et pénétrer dans le taillis sur 300 mètres avant d’arriver au portail du petit temple Ayyanar. C’est un ancien temple très simple comme c’est le cas des temples ayyanars. Ce sont les poteries dont certaines sont anciennes qui font l’attraction des lieux. Des chevaux comme dans la région de Chettinad mais aussi toute une ligne de tous petits éléphants, ce qui est plus rare.
L’usure et peut être quelques branches d’arbres ont eu raison de deux grandes poteries de chevaux magnifiques. Seule leur partie avant est intacte et montre encore les détails de la parure qui les habillait.
D’autres grandes statues représentant des chevaux et des éléphants mais aussi des militaires, aux couleurs très kitch trônent au milieu. Comme dans tous les temples ayyanars, il y a bien sur la statue d’un démon dont la mission est de chasser les mauvais esprits. La tradition et la croyance en ces esprits protecteurs se retrouve dans toutes les régions rurales du Tamil Nadu, mais surtout de Thiruvannamalai à Chettinad. C’est un joli endroit à visiter lorsque l’on séjourne à Thiruvannamalai.
Nous y rencontrons le gardien du temple, en charge de son entretien. Il s’agit d’une charge de famille. Le père étant décédé il y a quelques temps, le fils a pris la suite. Il nous explique non sans un brin de regret dans le regard, qu’il avait suivi des études supérieures en Ingénierie et a dû abandonner tout espoir d’évolution sociale…
Nous prenons ensuite une petite route pour essayer de trouver un autre lieu que j’avais localisé. Situé à quelques kilomètres à peine, nous y arrivons en 5 mns.
Le décor a changé. Un lac et des rizières verdoyantes illuminent le paysage. Nous partons à pied sur chemin à travers les rizières. Les fermiers qui élèvent des vaches à lait ont trouvé place autour d’un grand bassin en pierre associé au temple. Tout autour de ce bassin c’est une étable de plein air qui profite de cet espace sans culture. Ce que j’avais vu sur internet n’était que ce grand bassin. Le temple quant à lui se résume à 3 ou 4 petites statues ayyanars. Mais je ne suis pas déçu. Emprunter ces petites routes pour s’enfoncer dans les campagnes renforce l’image de ce Tamil Nadu rural paisible que l’on ne pourrait imaginer si l’on restait sur les grands axes touristiques.
Nous décidons de poursuivre en direction des cascades de Hoggenakal. Encore 3h à 3h30 de route nous attendent et nous ne rejoindrons notre destination qu’à la tombée du jour. Il nous faut avant cela nous aventurer sur des petites routes transversales aux axes routiers principaux et malgré le GPS, demander notre route à plusieurs reprises. Ce qui ne va pas sans surprise comme souvent, car si l’un vous envoie d’un côté un autre vous indiquera une direction opposée ! Nous parvenons enfin à rejoindre la route d’Hoggenakal et roulons vers cette destination inconnue de nous 3.
Le paysage reste identique jusqu’à ce que l’on passe un check post du département des forêts. Les 15 kms qui suivent traversent des forêts et de petites montagnes qui s’étendent jusqu’au pied des Ghats occidentaux, avec quelques panoramas magnifiques.
Je suis un peu perplexe à l’idée d’arriver tard et de trouver porte close, devant rebrousser chemin sur 30 ou 40 kms avant de trouver éventuellement un hébergement quelconque. Il est 18h30 et nous voilà enfin arrivés. A ma grande surprise, on arrive dans une sorte de villages composé de lodges et de petits restaurants de rue où le poisson de la rivière est proposé aux touristes indiens, de boutiques et d’un temple dont les hauts parleurs vrombissent des chants hindous qui résonnent dans tout le village. Je ne m’attendais pas à ça !
Dès notre arrivée nous sommes arrêtés sur la route « Room, Room ! » On tente de nous arrêter tous les 10 mètres ! Au moins nous savons qu’il y a des chambres disponibles...
Nous parquons la voiture rapidement et décidons de faire un premier tour vers ces cascades avant la nuit.
L’endroit est assez étendu, un peu désordonné et nous ne savons pas trop vers où nous diriger. Nous arrivons finalement à un passage qui enjambe plusieurs torrents issus d’une même rivière qui a frayé plusieurs chemins dans la roche, créant plusieurs bras et cascades. Il y a un endroit pour prendre un bain dans la cascade, séparé pour les homes et les femmes. L’accès au pont de singe qui enjambe une des cascades est fermé … Nous partons alors en exploration en empruntant une ruelle qui semble descendre vers le bas de la cascade. Je suis impatient et excité comme toujours quand mes yeux se posent sur une terre inconnue. Arrivé dans le lit de la rivière je marche sur un chemin de sable entre les rochers. Le paysage est agréable dans cette gorge creusée pendant des milliers d’années. Mais il n’est pas possible de voir la grande cascade dont les photos ont marqué mon esprit. Nous verrons demain.
Nous prenons une chambre dans l’hôtel du gouvernement, situé au calme dans un grand jardin, à l’écart de l’enfilade de lodges où les familles indiennes dorment à petit budget. Ce sera plus calme. L’hôtellerie ne donne pas dans le 3* luxe, la salle de bain est des plus sommaires, mais le lit est propre, la climatisation fonctionne, il est possible de prendre une bière bien fraîche et l’on pourra diner. C’est l’essentiel !
Au matin, après un petit déjeuner typique : Pongal, idlis et vada (thé en supplément !) A la réception de l’hôtel, nous demandons tout ce que l’on peut faire ici. Pas de chance, depuis 10 jours c’est la grève des bateliers !
Donc pas de grande cascade, puisqu’il semble que l’on ne puisse y accéder qu’en barque…
Ce n’est pas pour autant que nous allons abandonner. J’ai bien compris qu’en Inde, il y a toujours une solution …
Dans la rue il y a comme sur tous les sites touristiques quelques rabatteurs. Jinesh qui parle un peu tamoul demande à l’un d’eux s’il y a moyen de faire quelque chose. Ils parlent, négocient et finalement, il nous propose une balade sur la rivière en coracle, ces embarcations rondes faites en bambous. Mais compte tenu de la grève, il faut organiser cela à l’indienne ! L’homme passe des appels sur son portable et après 10 mns un auto-rickshaw arrive. Nous allons partir à 7 kms en aval. Notre guide local passe devant en moto. La route étroite et cabossée longe la rivière, à travers la forêt. On s’arrête soudain au milieu de nulle part et notre guide part dans la forêt. Il en revient avec un coracle sur le dos. Il l’installe sur le toit de l’auto-rickshaw, parque sa moto sur le bas-côté et monte à l’avant de l’autorickhaw, à moitié assis à moitié debout...
On redémarre mais 3 mns après nouvel arrêt. Il repart en forêt et revient avec 1 rame cette fois-ci ! Après 5 mns de plus on nous fait descendre. L’auto sort de la route pour emprunter un chemin de terre en direction de la rivière qui s’est éloignée. Après le passage d’un large fossé, nous remontons et poursuivons sur un chemin chaotique entre les arbres. D’autres autos nous croisent. Nous ne sommes donc pas les seuls à prendre les chemins de traverse … Après 5 dernières mns de rodéo hors-piste, nous y voilà !
Waow ! La rivière Cauvery est l'une des sept rivières sacrées de l'Inde,elle est magnifique. Des rochers de couleur rose satinée bordent la rive, de beaux arbres plongent dans l’eau leurs grandes racines découvertes. Le calme est total. Il y a déjà quelques autres touristes indiens qui attendent de partir en coracle eux aussi. Notre guide local nous demande un supplément pour donner au garde forestier afin qu’il ferme les yeux ! Et nous voilà partis !
L’embarcation est des plus simples : des bambous tressés formant une coquille couverte d’une bâche plastique bitumée. Nous essayons de nous assoir sur les cannes de bambous les plus épaisses. A peine mis à l’eau, je vois de l’eau perler à travers la bâche … « No problem, no problem ! » nous dit notre guide local devenu pour l’occasion le pagayeur. No problem, je veux bien, mais si je dois nager avec mon appareil photo et mon portable dans l’autre main, ça va pas être pratique !
Le visage de Dheeraj, qui ne sait pas nager, se décompose un peu … On verra bien !
Mais rapidement le plaisir que nous offre cette belle rivière nous fait oublier ces quelques gouttes d’eau. D’autant que nous approchons un petit rapide … Jinesh et moi sommes comme 2 gamins lorsque le coracle accélère. Il y a des petites vagues formées par les rochers affleurant que notre pagayeur éviter avec attention. Je pense effectivement que la simple bâche plastique de notre embarcation n’apprécierait pas de s’y frotter. Quelques petites gerbes d’eau volent et arrosent copieusement Dheeraj, bien sûr ! Cela ne dure que quelques instants avant de retrouver le cours paisible de la navigation.
Notre guide local change de direction pour nous amener sous des arbres dont les branches affleurent l’eau. Il y a plein de fruits de la forme et la couleur d’une cerise noire. Il s’accroche et secoue les branches au-dessus du coracle. Des fruits tombent dans l’eau qui couvre maintenant le fond de la coque. Nous goûtons avec envie à ces fruits appétissants. Si la première goutte de jus semble agréable et fruitée, l’arrière-goût est âpre, presque tannique et il n’y a que très peu de chair autour d’un gros noyau. Bon, on a goutté !
La rivière délimite la frontière entre le Tamil Nadu. Nous demandons à faire escale côté Karnataka dans un bel endroit, à l’opposé des touristes indiens qui se sont arrêtés pour prendre un bain. L’occasion de faire quelques photos supplémentaires et de vider le bateau !
Puis nous terminons tranquillement notre balade. Je la recommande réellement car c’est l’environnement est verdoyant, beau avec les montagnes couvertes de forêts, il y a des oiseaux, des papillons et un calme reposant. De plus faire cela en auto-rickshaw puis en coracle ajoute une touche de piment (en Inde cela va de soi !)
Nous ne verrons pas aujourd’hui la grande cascade mais avons passé un moment très agréable et allons certainement ouvrir 2 nouvelles routes hors sentiers pour nos voyageurs.
Il nous faut maintenant regagner Thrissur à 7 heures de route …
En Chemin nous faisons tout de même un petit détour par une ville située au bout d’un très grand barrage. A la surprise générale, dans la vallée perdue au milieu des montagnes, à côté du barrage, nous trouvons plusieurs méga usines, métal, ciment, etc. et une centrale nucléaire. La région est très industrialisée à notre grande surprise car assez isolée …
Le barrage couvre la vallée assez large sur plus de 20 kms de long. Nous apercevons une tour à l’opposé du barrage et ce qui ressemble à un téléphérique. Intrigués, nous décidons de nous y rendre. Il s’agit en fait d’une attraction touristique, et le téléphérique n’est qu’une plateforme vitrée en forme de téléphérique d’où l’on a une belle vue panoramique.
Il est temps de reprendre la route, qui sera longue encore cette fois...